Carton rouge

Pour la première fois depuis l’entrée en vigueur du « barème Macron », un Conseil de prud’hommes, celui de Troyes, vient de juger que le plafonnement des indemnités prud’homales est contraire aux engagements internationaux de la France. (Cons. prud’h. Troyes, 13 décembre 2018, n°18/00418)

  • Qu’est-ce que le « barème Macron » ?

Instauré l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, ce barème est prévu à l’article L. 1235-3 du Code du travail et s’impose au juge prud’homal.

En application du barème, le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est compris entre un minimum et un maximum, variant en fonction de l’ancienneté du salarié, étant précisé que le minimum est moins élevé si l’employeur occupe moins de 11 salariés.

Un des objectifs annoncé de la réforme est d’offrir plus de sécurité juridique et de prévisibilité à l’employeur.

Si l’objectif est louable, certains commentateurs autorisés n’ont pas manqué de critiqué le procédé en soulignant que ce barème « rend possible un calcul de ce que coûte une illégalité et incite, donc, à la commettre si, selon un raisonnement courant, ce coût est moins important que l’inconvénient créé par le respect de la légalité »[1].

Au plan juridique, la mise en place d’un barème impératif bouscule en outre un principe jusqu’alors appliqué avec constance par le juge prud’homal : le principe de la réparation intégrale du préjudice souffert par le salarié en raison du caractère injustifié de son licenciement.

  • Sur quel fondement l’application du « barème Macron » a-t-elle été écartée ?

A la demande d’un salarié contestant son licenciement et sollicitant une indemnité supérieure au plafond prévu par le barème, le Conseil de prud’hommes de Troyes a jugé ledit barème contraire à la convention 158 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et à la Charte sociale européenne.

L’article 10 de la convention 158 de l’OIT dispose en effet que :

« si les juges arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié (…), ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».

L’article 24 de la Charte sociale européenne affirme également l’exigence d’une « indemnité adéquate » ou d’une « réparation appropriée » en cas de licenciement injustifié.

Dans son jugement du 13 décembre 2018, le Conseil de prud’hommes de Troyes retient, notamment, que :

« L’article L 1235-3 du Code du travail, en introduisant un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales, ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi.

 De plus, ces barèmes ne permettent pas d’être dissuasifs pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié. Ces barèmes sécuriseraient davantage les fautifs que les victimes et sont donc inéquitables.

 En conséquence, le Conseil juge que ce barème viole la Charte Sociale Européenne et la Convention n°158 de l’OIT.

 Les barèmes prévus à l’article L. 1235-3 du code du travail sont donc inconventionnels. »

  • Quelle est la portée de cette décision ?

Il est évident que le jugement du Conseil de prud’hommes de Troyes ne doit pas être regardé comme l’état du droit sur cette question, mais plus vraisemblablement comme le premier volet d’une longue saga.

Il ne fait en effet guère de doute que l’employeur condamné à une indemnité supérieure au plafond du barème interjettera appel de cette décision.

Il convient d’ailleurs de souligner que, face à une argumentation en tout point similaire contestant la validité du barème de l’article L. 1235-3 du Code du travail, le Conseil de prud’hommes du Mans a très récemment rendu une décision diamétralement opposée, reconnaissant la validité du barème. (Cons. prud’h. Le Mans, 26 septembre 2018, n°17/00538)

De manière plus significative, le principe de la barémisation a été approuvé tant par le Conseil d’Etat, à l’occasion d’une contestation en référé (CE, ord. Réf., 7 décembre 2017, n°415243), que par le Conseil constitutionnel, à l’occasion du contrôle de constitutionnalité de la loi de ratification des ordonnances dites « Macron » de septembre 2017 (Cons. Const., 21 mars 2018, n°2018-761).

A en croire la presse quotidienne, interrogé sur la valeur du jugement du Conseil de prud’hommes de Troyes, le Ministère du travail aurait rappelé les décisions précitées et indiqué que ce jugement poserait « la question de la formation juridique des conseillers prud’homaux »[2].

Or, dans une décision récente, le Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS), organe de contrôle de l’application de la Charte sociale européenne, a condamné un dispositif de plafonnement des indemnités de licenciement injustifié instauré par la législation finlandaise. (CEDS 8 septembre 2016 n°106/2014)

Dans cette décision, le CEDS retient que, en application de la Charte sociale européenne, « les salariés licenciés sans motif valable doivent obtenir une indemnisation ou toute autre réparation appropriée » et précise que:

« les mécanismes d’indemnisation sont réputés appropriés lorsqu’ils prévoient » [notamment] « des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime.

 Tout plafonnement qui aurait pour effet que les indemnités octroyées ne sont pas en rapport avec le préjudice subi et ne sont pas suffisamment dissuasives est en principe, contraire à la Charte. »

Le CEDS semble donc regarder comme impératif le principe de réparation intégral du préjudice et valoriser le caractère dissuasif de l’indemnisation.

Le Conseil de prud’hommes de Troyes paraît donc s’être prudemment aligné sur l’interprétation de la Charte sociale européenne faite par le CEDS.

Certes les décisions du CEDS n’ont pas de force contraignante à l’égard des Etats signataires de la Charte sociale européenne.

Reste que, dans un arrêt de 2014, le Conseil d’Etat a explicitement admis que l’article 24 de la Charte sociale européenne est d’effet direct et peut donc être invoquée notamment dans le cadre des litiges entre employeurs et salariés.

La Cour de cassation aura donc immanquablement à prendre position sur la validité du « barème Macron » au regard des engagements internationaux de la France.

Or, par le passé, la Cour de cassation a montré sa volonté de se conformer, pour appliquer un texte international, à l’interprétation qu’en donne l’organe chargé d’en contrôler l’application. (Cass. soc. 1er juillet 2008, n°07-44124 : Bull. civ. V, n°146)

En dépit des décisions précitées du Conseil d’Etat et du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation pourrait donc, dans le sillage du CEDS, déclarer le « barème Macron » contraire à la Charte sociale européenne et en écarter l’application.

Il règne donc de grande incertitude sur cette question, situation d’autant plus cocasse qu’elle a trait à un texte dont l’objectif affiché était d’offrir plus sécurité juridique et de prévisibilité.

Ainsi, loin de « poser la question de la formation des conseillers prud’homaux », le jugement du Conseil de prud’hommes de Troyes est, hélas, une nouvelle occasion de déplorer qu’une production normative surabondante, d’une qualité parfois discutable, peu négociée et donc peu acceptée par les acteurs de la matière, contribue à faire du droit du travail un terrain à la fois mouvant et miné pour les employeurs.

Sources :

Cons. prud’h. Troyes, 13 décembre 2018, n°18/00418 (non publié au jour de la présente publication)

[1] A. Lyon-Caen, La complexité du barème, RDT 2016. 65. G. Bargain et T. Sachs, La tentation du barème, RDT 2016. 251

[2] Le Monde, 14 décembre 2017, Le plafonnement des indemnités prud’homales jugé contraire au droit international

 

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