Rupture de promesse d'embauche

Par deux arrêts en date du 21 septembre 2017 (Cass. soc., 21 septembre 2017, n°16-20103 et 16-20104, FS-P.B.R.I.), destinés à une large publication, la Chambre sociale de la Cour de cassation, vient d’opérer un important revirement de jurisprudence en matière de promesse d’embauche.

En application des nouveaux principes de solution, une promesse d’embauche ne vaut plus nécessairement contrat de travail, la Cour de cassation opérant dorénavant une distinction, nouvelle, entre offre de contrat de travail et promesse unilatérale de contrat de travail.

 

  • Régime antérieur de la promesse d’embauche

Jusqu’à la réforme du droit des obligations de 2016, le Code civil n’encadrait pas de manière claire les négociations précontractuelles et les promesses de contrat.

Le Code du travail étant également muet, l’encadrement était, pour l’essentiel, d’origine jurisprudentielle.

Jusqu’au récent revirement, il existait d’ailleurs une divergence entre la 3ème Chambre civile et la Chambre sociale de la Cour de cassation en cas de rétractation d’une promesse de contrat par le promettant, avant que le bénéficiaire de la promesse n’ait donné son consentement au contrat.

En effet, la 3ème Chambre civile, compétente en matière de vente immobilière, considère depuis un arrêt du 15 décembre 1993 que la rétractation d’une telle promesse fait obstacle à la formation du contrat et ne peut donc donner lieu qu’au paiement de dommages et intérêts et non à l’exécution forcée de la vente.

A l’inverse, la Chambre sociale de la Cour de cassation, compétente en matière de contrat de travail, jugeait avec constance que « constitue une promesse d’embauche valant contrat de travail l’écrit qui précise l’emploi proposé et la date d’entrée en fonction ». (Cass. soc., 15 décembre 2010, n°08-42951 : Bull. civ. V n°296 – Dans le même sens, Cass. soc., 13 juillet 2005, n°03-44786)

En conséquence, quand bien même le contrat de travail n’avait-il pas connu de commencement d’exécution, la rupture de la promesse par l’employeur produisait les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le bénéficiaire de la promesse portant sur un contrat à durée indéterminée bénéficiait donc d’une indemnité compensatrice de préavis, d’une indemnité conventionnelle de licenciement (théorique de l’absence de reprise contractuelle d’ancienneté) et des dommages-intérêts pour rupture unilatérale de la promesse. (Cass. soc., 4 février 2015, n°13-26058)

Cette solution, très protectrice du salarié, comportait un risque d’effet d’aubaine important dès lors qu’elle permettait à un salarié de réclamer des indemnités de rupture quand bien même n’aurait-il pas réellement eu l’intention de s’engager au service du promettant.

 

  • Nouvelle distinction en matière de promesse d’embauche

En considération d’une part de ce risque d’effet d’aubaine, d’autre part de la position contraire et de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation et, surtout, de la réforme du droit des contrats issue de l’ordonnance du 10 février 2016, la Chambre sociale de la Cour de cassation vient d’engager une profonde modification du régime de la promesse d’embauche.

Il est vrai que l’ordonnance du 10 février 2016 a introduit un nouvel article 1124 dans le Code civil, aux termes duquel :

« La promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire.

La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis.

Le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul. »

Dans ses deux arrêts du 21 septembre 2017, la Cour de cassation dispose expressément que :

« l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment, dans les relations de travail, la portée des offres et promesses de contrat de travail »

La Cour de cassation entend dorénavant distinguer offre de contrat de travail et promesse unilatérale de contrat de travail et dispose que :

« l’acte par lequel un employeur propose un engagement précisant l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation, constitue une offre de contrat de travail, qui peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire ;

que la rétractation de l’offre avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue d’un délai raisonnable, fait obstacle à la conclusion du contrat de travail et engage la responsabilité extra-contractuelle de son auteur.

 en revanche, la promesse unilatérale de contrat de travail est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat de travail, dont l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire ;

 que la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat de travail promis »

 

  • Conséquences de la distinction

Dorénavant, seule la révocation d’une promesse unilatérale de contrat de travail pendant le délai offert au bénéficiaire pour opter produira les effets d’un licenciement sans cause réel et sérieuse.

A l’inverse, la rétractation de l’offre avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, d’un délai raisonnable, fera obstacle à la conclusion du contrat de travail et n’engagera la responsabilité de l’auteur de l’offre que sur le terrain extra-contractuel, par le paiement de dommages et intérêts.

Dans la seconde hypothèse, celle d’une offre de contrat de travail, ne pourra donc plus être prononcée la condamnation au paiement :

  • d’une indemnité compensatrice de préavis si le contrat envisagé était un CDI,
  • des salaires dus jusqu’au terme du contrat, si le contrat envisagé était un CDD.

Les incidences du revirement engagé peuvent donc être considérables, tout particulièrement en matière de promesses d’embauche en CDD, forme juridique qui constitue la règle en matière de contrat de travail des sportifs. De manière symptomatique, les arrêts du 21 septembre 2017 opposaient un club sportif, auteur de promesses d’embauches, et deux joueurs professionnels de rugby.

Ce revirement appellera sans doute quelques clarifications ultérieures.

Ainsi, quelle sera la juridiction compétente pour trancher les litiges nés de la violation d’une simple offre de contrat de travail ?

La Cour de cassation juge certes de longue date que le litige né de la non-exécution d’une promesse d’embauche est de la compétence de la juridiction prud’homale. (Cass. soc., 9 octobre 1968 n°67-40370 : Bull. civ. V n°427)

La question se pose néanmoins, dès lors que rétractation de l’offre avant l’expiration du délai engage dorénavant la responsabilité extra-contractuelle de son auteur.

Et pour cause, l’article L. 1411-1 du Code du travail dispose que la compétence du Conseil de prud’hommes est exclusivement cantonnée aux « différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail ».

Enfin, il est permis de se demander si la Chambre sociale de la Cour de cassation ira jusqu’à faire application de l’alinéa 3 de l’article 1124 nouveau du Code civil prévoyant que « le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul ».

Les conséquences d’une nullité, prononcée à l’issue d’une procédure judiciaire, pourraient en effet sembler excessives pour le salarié « tiers » embauché en violation de la promesse unilatérale.

 

Sources :

Arrêt n° 2063 du 21 septembre 2017 (16-20.103) – Cour de cassation

Arrêt n° 2064 du 21 septembre 2017 (16-20.104) – Cour de cassation

 

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